mercredi 28 avril 2010

Les "Espaces muséaux" de Muriel Bordier exposés à Chartres de Bretagne


Le Carré d'Art à Chartres de Bretagne reçoit, depuis le 20 avril dernier, la série photographique les Espaces muséaux de Muriel Bordier. Cette artiste a été récompensée du prix Arcimboldo 2010 et prépare sa prochaine exposition à la galerie Bailly.

Muriel Bordier est née à Rennes en 1965. Elle a commencé des études artistiques après un bac général en rentrant à l'école des Beaux-Arts de Reims. D'abord intéressée par la vidéo, par l'image en mouvement, l'artiste s'est dirigée peu à peu vers la photographie, et c'est après l'obtention de son diplôme en 1990 qu'elle a approfondi ce domaine. Dans les travaux qu'elle a pu produire aux Beaux-Arts, Muriel Bordier a abordé petit à petit des sujets universels. Elle a toujours interprété ces sujets avec humour. En effet, cette artiste aime jouer, s'amuser avec ce qui nous est commun. L'humour est vraiment un outil très important dans son travail.

Ses travaux ont toujours oscillé entre la photographie et les arts plastiques. Muriel Bordier n'est pas une photographe qui travaille autour de l'instant décisif ; elle crée plutôt des univers plastiques au service de la photographie : c'est une photographe-plasticienne. C'est elle qui fabrique les univers qu'elle représente en photographie. Elle affirme justement :


« J'adore fabriquer, inventer, Je m'amuse beaucoup. Quand les choses ne m'amusent plus, j'abandonne. »1


Avec les moyens de la maquette, de la pâte à modeler, du trucage numérique, l'artiste modèle à sa manière ces petits univers qui se rapprochent de la réalité. Ces petits mondes ne font que se rapprocher effectivement de la réalité, ils ne la copient pas. La photographe-plasticienne donne sa version à elle du monde réel dans lequel nous vivons. Elle s'en moque un peu, le tourne en ridicule, en dérision. Le moyen de la parodie lui permet en effet de parler du quotidien et du commun. Le burlesque et l'humour facilitent également l'accession à ces représentations et au message que Muriel Bordier fait passer dans ces oeuvres.

Les travaux artistiques de Muriel Bordier traduisent une exploration du sens commun. Les codes culturels de la société occidentale ont toujours intéressé l'artiste. Dans ses oeuvres, elle réfléchit en effet sur nos pratiques et sur notre conception du monde communes. Elle interroge particulièrement notre rapport à l'image et à la photographie. Ces travaux les plus récents tendent effectivement à la satire sociale qui expose nos comportements face à l'image. Pour cela, elle traite de sujets universels comme par exemples la famille, la vie domestique, l'art, le voyage.

La photographe se plaît effectivement à représenter des formes de la vie de tous les jours sous de nouveaux aspects. Contrairement à d'autres photographes qui capturent la réalité dans sa plus complète banalité, l'artiste Muriel Bordier reconstitue, elle, cette réalité apparemment banale.


La série des Espaces muséaux est constituée de photographies représentant des visiteurs dans l'espace d'un musée. Ces photographies ont été réalisées à partir de fabrications de maquettes et de traitement numérique. Muriel Bordier photographie, en premier lieu, les maquettes vides ; dans un deuxième temps, elle ajoute par trucage numérique les oeuvres et les personnages de son musée fictif. En regardant ses images, on comprend très bien que la photographe se moque de l'institution muséale et de ses visiteurs. Malgré cette mise en absurde de ces deux sujets, l'artiste révèle encore des vérités sur nos comportements. Le burlesque et l'humour sont savamment utilisés pour démontrer les agissements de notre société.

Cette série a été commencée en 2008. Ses images représentent toutes des espaces gigantesques d'un musée. Les murs sont en effet très grands par rapport aux personnages qui se promènent dans l'espace. Les visiteurs sont « écrasés » par le lieu. De plus, le lieu est très vide. Les murs sont blancs. Il y a peu d'oeuvres accrochées. Ce sont pour la plupart des photographies en des incroyablement grands formats. Il y a aussi des grands monochromes blancs et de grands tableaux reprenant l'esthétique de la bande dessinée. Si ces espaces sont aussi vides, c'est pour parler « de ce manque d'intérêt pour l'oeuvre elle-même. »2 Elle explique ce qui l'a motivée à entamer cette série :


« Pour les Espaces muséaux, ça m'intéressait cette idée du musée. A un vernissage, en général on parle toujours de l'accrochage, de l'espace mais jamais des oeuvres. Les gens n'osent peut-être pas en parler. Alors qu'on est là pour voir des oeuvres, on parle de l'accrochage. [...] Je critique aussi l'attitude des artistes des avis des institutions. Les institutions n'existeraient pas sans les artistes. »3


Le visiteur est bien entendu lui aussi mis en ridicule. Dans l'une des photographies de la série des Espaces muséaux, un visiteur contemple des photographies accrochées sur les murs qui ne représentent rien d'autre que ce visiteur-là en attitude de contemplation aussi. Muriel Bordier s'est amusée ici à créer une mise en abîme. Sur une autre image, on trouve un attroupement de visiteurs. On ne sait pas vraiment ce qu'ils regardent, pour peu qu'ils regardent une oeuvre. Contemplent-t-ils la photographie du bazar au milieu de l'espace ? Savent-ils où ils se trouvent ? Sont-ils perdus ? On ne sait pas vraiment si les personnages voient vraiment les oeuvres, s'ils s'y intéressent.

Muriel Bordier se moque aussi de la représentation du réel dans l'art. Dans deux autres images de la série, ce sont les mêmes murs du musée qui sont représentés dans les photographies exposées. On trouve aussi des représentations de sac poubelle. Ces oeuvres fictives sont le produit d'un réaction ironique par rapport à certaines productions dans l'art contemporain. Muriel Bordier explique à ce propos :


« Je me moque du réel, de l'esthétique du quotidien, de la banalité. Je veux qu'on m'emmène quelque part. Aujourd'hui, on ne regarde plus la réalité, on regarde la représentation du réel. Dans ces travaux, je me moque un peu de l'espace muséal où on se préoccupe plus de l'espace que des oeuvres accrochées au mur. C'est une sorte de constat que je fais. Des fois quand des architectes réfléchissent à des espaces, ça peut être au détriment des oeuvres. »4


Pour faire partager son point de vue, la photographe passe par l'humour :


« Le message est moins violent en passant par l'humour. Il y a toujours des degrés. Ça peut toucher des gens que je critique. J'essaie de ne pas aborder les choses de manière abrupte. »5


Les situations burlesques, dans lesquelles la photographe met en scène ses petits personnages, amusent également le spectateur. Rentré lui aussi dans la moquerie, il rit de ces situations et de ces visiteurs. C'est bien alors que l'imagination du spectateur a été libérée. Le ridicule de ces scènes nous ramène à une certaine idée parodique du musée. Cette série est d'ailleurs associée à la pièce de théâtre Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes. Muriel Bordier explique ainsi le lien entre ses photographies et l'oeuvre littéraire :


« J'ai lu la pièce de théâtre. Je n'ai pas vu le film. Le bouquin c'est un bonheur, c'est savoureux ! Le livre est fabuleux. C'est un livre excellent. Actinos une association à Quimper a fait une proposition de réalisation à des photographes autour d'une oeuvre littéraire. J'avais déjà commencé ma série avant de lire Musée haut, musée bas. J'ai donc adapté mes photographies au livre. Ça devient des formats gigantesques. J'ai repris des morceaux de phrases de la pièce de théâtre. Il ne faut pas tomber dans l'illustration. L'idée d'avoir déjà commencé le travail me plaisait. Il y avait donc des correspondances entre mes photos et la pièce de théâtre. C'était avant de découvrir Musée haut, musée bas que j'avais fait mes photos. [...] Là je suis en train de lire The White Cube de Brian O'Doherty. L'auteur parle des personnages dans le musée. »6


La pièce de Jean-Michel Ribes est en effet une mise en scène de personnages dans des situations absurdes comme les visiteurs du musée de Muriel Bordier.

L'artiste réussit à nous parler de quelque chose qui nous est commun. Même si nous n'allons pas tous au musée, nous faisons partie du public. Cette notion très large nous concerne tous. En parodiant l'institution muséale, les oeuvres et les visiteurs, Muriel Bordier réussit à nous faire rentrer dans la moquerie. Elle révèle aussi dans cette caricature sociale des comportements réels. Cette mise en scène d'un lieu commun n'en est que plus exagérée pour mieux faire surgir des vérités sur notre société.


1Entretien avec Muriel Bordier le 16 avril 2009.

2Entretien avec Muriel Bordier le 2 janvier 2009.

3Ibid.

4Ibid.

5Ibid.

6Ibid.

dimanche 25 avril 2010

"L'Afrique héroïque" de Philippe Bordas


Au premier étage de la Maison Européenne de la Photographie, j'entre dans un espace noir. Y est exposée "L'Afrique héroïque" de Philippe Bordas. A ce moment-là d'entrer, je crains simplement que le lieu ait voulu nous plonger dans la découverte d'une "altérité primitive". Ne connaissant pas Philippe Bordas en tant que photographe et voyant le sujet de l'Afrique, j'avais un peu d'appréhension à découvrir cette exposition. Est-ce que les photographies que je verrais seraient celles d'un auteur qui de son occidentalité prendraient des airs de supériorité ou pire de pitié virant au sentimentalisme guimauve.
Pas du tout. Avec Les Chasseurs du Mali, la première partie de l'exposition, j'ai été frappée par la beauté des portraits photographiques. Il y a dans ces images une sensibilité très forte de leur auteur qui s'est admirablement "peindre" ses sujets. Sans nuances mièvres, Philippe Bordas photographie des hommes. Il réussit à capter les couleurs de l'Afrique et a intégré ses tonalités de teintes dans ses images, ce qui nous offre des photographies avec des lumières magnifiques. L'espace noir de l'exposition s'est traduit en une brillante scénographie. J'ai été happée par ces images colorées, tout comme par les tirages noir et blanc de la même salle.
Moins marquée par L’Afrique à poings nus, le panneau mêlant vidéos et reproductions de carnet de voyage de l'auteur attire tout de même mon attention tant il montre l'importance de la rencontre de Bordas avec les lutteurs du Kenya et du Sénégal.
Cette exposition étant déjà finie, j'espère que vous êtes allés la voir et que "L'Afrique héroïque" de Philippe Bordas vous aura séduit autant que moi. Sinon, vous pouvez toujours la découvrir à travers ses livres.

dimanche 18 avril 2010

"On the Road"


On le savait déjà que la route était un sujet utilisé souvent en photographie. La route, c'est à la fois le voyage et l'errance. Elle trace nos déambulations. Elle accompagne nos périples nomades. Elle fait partie du paysage. Elle se dessine dans notre environnement.
On comprend alors que pour l'exposition "On the Road" à la Maison Européenne de la Photographie qui s'est terminée en début de mois (il n'est jamais trop tard pour parler des expositions qu'on a aimé !) , l'on a repris le titre de l'oeuvre clé de Jack Kerouac qui définit le caractère mobile et libre de la beat generation. En un mot, la flânerie. N'est-ce pas ça aussi la qualité d'un photographe ? Un photographe est en quête d'images, un photographe est en quête d'inspiration, un photographe est en quête d'épiphanie, terme volontairement emprunté au poète irlandais James Joyce. On reconnaît dans cette exposition des figures célèbres qui travaillent avec le sujet de la route : Bernard Plossu, Lee Friedlander, Robert Frank.
Mais plus subtile est la manière d'inscrire la route comme un élément graphique, ou plutôt de prendre en compte les dessins de ces panneaux, les dessins de sa silhouette qu'elle nous propose. On retrouve ce type de photographie chez Harry Callahan, René-Jacques, Mario Giacomelli.
On assiste à une exposition qui met en valeur l'universalité d'un thème inépuisable et source de rêverie pour tout un chacun.

Un blog enfin !

Pourquoi créer un blog ? Tout d'abord par souci de continuer à écrire. Ce type d'entreprise (car bien sûr je prends ça très au sérieux) peut me permettre de diffuser le plus facilement mes textes, montrer qu'on peut utiliser l'outil internet pour apporter des réflexions pertinentes sur l'image malgré un flux de données qui circulent en masse sur ce même sujet.
Il me semblait important de proposer mes propres questionnements sur l'image. Je m'intéresse plutôt à l'image fixe, particulièrement à la photographie. La photographie nourrit en effet ma pensée. Elle alimente mon imaginaire, m'inspire, me fascine. Comprendre la photographie, c'est comprendre les différentes visions du monde mais aussi les représentations de différentes cultures et ce qu'elles en disent sur nos propres sociétés.
L'image est d'autant séduisante par son esthétisme et sa construction. J'aime les regarder, j'aime m'entourer de leur présence et j'aime également en parler.
Ce blog n'a pas pour ambition de cataloguer des artistes en vogue ou des expositions en cours. Il s'agit pour moi de m'arrêter sur des choses qui m'intéressent, qui me permettent d'approfondir mon rapport et ma compréhension de l'image, de tenter de faire partager mon goût pour la photographie (projet le plus ambitieux et le moins évident), et surtout d'intéresser ceux qui me liront, de leur donner plaisir à me lire (projet essentiel de ce blog).
Alors voilà je me lance !