dimanche 13 mars 2011

L'Image fantôme d'Hervé Guibert



S'il y a un livre que je chérie plus que les autres, il s'agit sans nul doute de L'Image fantôme1 d'Hervé Guibert. Un jour dans mon sac, l'autre dans ma bibliothèque, il m'accompagne dans le métro, peut me servir de livre de chevet le soir. Aujourd'hui, il est bien abîmé, preuve d'une vie mouvementée entre des déménagements de bagages et d'étagères. Il est tout le temps auprès de moi. C'est un livre qui m'est précieux, tant les textes de l'auteur m'interpellent et me touchent. Quand je lis ce livre, j'y reconnais des choses qui me sont familières. Je vois dans ce livre un condensé de vérités sur la photographie. Car il s'agit bien de ce sujet là dont parle Hervé Guibert dans L'Image fantôme. Le livre est constitué de plusieurs textes, comme des petites anecdotes mises à la suite les unes des autres. On pourrait très bien commencé la lecture par la fin du livre. On est, à chaque lecture, frappé par un texte qu'on aurait moins remarqué la première fois. Il y a toujours quelque chose de nouveau qui nous heurte quand on reprend ce livre. L'Image fantôme dégage une sorte d'universalité des expériences que nous faisons avec la photographie, alors même que l'auteur parle de manière subjective dans son livre.

Pour finir, c'est un livre plaisant à lire pour tous les amoureux de la photographie, qui nous rappelle à tous les clichés perdus dans nos boîtes à chaussures, la première image érotique ou pornographique qui est tombée sous nos yeux, toutes nos idées de scènes à photographier, etc.

Puisque j'aime énormément ce livre et qu'en le relisant ces derniers jours, il m'a été donné d'être frappée par un texte en particulier, je vous cite l'un d'eux (j'aurais pu en retranscrire bien d'autres, mais il faut savoir ne pas être trop gourmand).



LE SILENCE, LA BÊTISE2

    - La photo s'est infiltrée dans ta vie. Elle t'a envahi. Regarde ton appartement : ces piles de dossiers relatifs à des expositions, ces photos éparses. Même ton écriture, maintenant, est toute tournée, et aspirée par la photo. Il n'y a que les petites incartades de ton journal intime qui t'en échappent...

    - Figure-toi même que depuis quelques temps la photo est devenue un besoin physique. Je trempe dedans pour mon travail, et j'en use aussi pour me délasser. Je rentre chez moi vers sept heures, parfois harassé, autrefois je prenais un livre et je lisais (mais la lecture dans la fatigue plisse davantage mon front et sature mes yeux), je tentais de m'assoupir un peu, la nuque renversée sur mon fauteuil, les pieds sur ma table, en attendant que le téléphone me secoue. Maintenant je prends un livre de photos, et je regarde des photos, cela m'apaise, comme si je rentrais brusquement, par magie, dans un paysage, sans trouble de température, sans insecte, sans agression; sans aucune variation d'aucune sorte. Un équilibre total qui anesthésie mes nerfs. Et cela est aussi vrai pour un portrait. La photo est liée au silence.

    - Mais la photo n'est-elle pas aussi la bêtise ?

    - Tais-toi. Je compte bien me secouer bientôt, et brutalement, de cette fascination, mais je n'en ai pas encore fini avec elle...



Vous n'avez plus qu'à vous jeter sur ce livre pour connaître les autres textes qui le composent. Et pour mieux connaître cet auteur vous pouvez également découvrir en ce moment ses photographies à la Maison Européenne de la Photographie.



1Hervé Guibert, L'Image fantôme, éditions de Minuit, 2002 (1981).

2Ibid., p. 126.