L'autre jour que je me promenais dans les jardins de Versailles, je me suis aperçue que nous étions dans une de ces périodes propices à la photographie. Pas n'importe quelle photographie bien sûr, celle de l'amateur évidemment. La saison estivale débute : les beaux jours s'installent, les vacanciers débarquent et les appareils photos sont de sortie. Tout est bon à capturer. A Versailles, il ne devait certainement pas y avoir un groupe de touristes sans un appareil photo. En voyant tous ces photographes amateurs, cela m'a rappelée la célèbre photographie de Martin Parr qui nous montre un groupe de touristes se faisant immortaliser devant le Parthénon à Athènes. Cette image n'est autre qu'une ironie de la photographie qu'on appelle « touristique ».
L'été est certainement le moment de l'année où l'amateur produit le plus de photos. Depuis la « démocratisation » de la pratique photographique, cela a toujours été. A partir du temps où les appareils photos ont été simplifiés et rendus accessibles aux classes moyennes (c'est-à-dire dans les années 1960 avec l'arrivée du premier Instamatic chez Kodak), la photographie est devenue populaire. Pour mieux comprendre ce phénomène, il nous suffit simplement de rappeler la raison de cet art populaire. Qu'est-ce qui nous pousse davantage au déclenchement de l'appareil photo pendant ces moments de distraction qu'en temps courant ?
Lors de nos loisirs ou de nos vacances, nous sortons du cadre quotidien, nous quittons nos occupations habituelles. Comme l'explique Rachid Amirou dans son livre Imaginaire touristique et sociabilité du voyage : « L'espace des vacances est une scène bien séparée du monde ordinaire, un simulacre d'île. C'est un univers théâtral. »1 Ces moments de détente sont consacrés à de la détente, à des activités sportives, à des divertissements, ou encore à des visites touristiques. La plupart du temps, nous aimons capturer ces instants par le moyen photographique. La photo touristique est souvent construite à partir d'un monument, d'un site célèbre ou d'un paysage digne d'une carte postale. Avec ces tableaux comme guise de scène, nous pouvons ainsi confirmer l'affirmation de Rachid Amirou qui parle de « théâtre » pour désigner l'espace des vacances.
Il nous arrive fréquemment de poser devant ces cadres. De cette manière, nous n'éternisons pas seulement le monument, mais plutôt nous-mêmes devant les édifices. Le monument c'est en fait le loisir-même et c'est ce que le photographe amateur va solenniser. Les images qui en résultent célèbrent ces temps forts que sont les loisirs et les vacances. De plus, la photographie nous permet, à nous touristes, de réaliser nos propres « cartes postales ». Ce sont nos images de paysages. C'est nous qui les avons prises.
Enfin, nous pouvons affirmer que la photographie s'impose aux touristes. Elle permet l'appropriation des lieux et elle sert de « support d'une remémoration individuelle ou collective »2, pour emprunter l'expression à Catherine Bertho Lavenir, auteur de l'ouvrage La Roue et le stylo. Cette dernière explique par ailleurs :
« L'usage social de la photographie ne se borne pas au moment du voyage. Les clichés permettent de s'en remémorer les moments intenses, entre participants, et de le re-présenter à ceux qui ne l'ont pas fait. De la même façon que la mémoire choisit les souvenirs, un tri s'opère dans les photographies. Épuré, simplifié, débarrassé de ses scories, le voyage photographique devient le voyage idéal. »3
La photographie est donc là pour rendre compte de ces moments idéaux, elle se doit de les représenter ainsi.
1Rachid Amirou, Imaginaire touristique et sociabilité du voyage, éd. PUF, collection « Le Sociologue », Paris, 1995, p. 117.
2Catherine Bertho Lavenir, La Roue et le stylo, éd. Odile Jacob, collection « Le Champ médiologique », Paris, 1999, p. 263.
3Ibid., p. 268 – p. 269.