Après la photographie ? est une question qui prend toute sa résonance dans notre époque. C'est aussi le titre du troisième tome de Quentin Bajac apparu l'an dernier aux éditions Gallimard. Il pose en effet cette question à travers son livre qui dresse une sorte de bilan de la photographie : ce qui a fait la photographie, les différentes manières de l'utiliser, les artistes qui l'ont exploitée et explorée, les personnalités qui l'ont pensée et réfléchie.
Il faut rappeler que cet essai a été précédé de deux autres livres qui retracent, quant à eux, les origines de la photographie et ses premiers mouvements (je n'ai pas encore lu ces deux premiers tomes mais cela ne s'aurait duré).
* * *
Le livre se divise en deux parties. La première consiste à établir un bilan en reprenant l'histoire de la photographie amateur, du photojournalisme et de la photographie plasticienne. La deuxième partie va s'appuyer sur ces exemples pour questionner notre relation à l'image. En tenant compte du contexte actuel, on s'aperçoit du changement, voire de la dérivation, du statut de l'image dans notre société. La photographie en est transformée et nous ne faisons peut-être plus les mêmes clichés. Les artistes, et mêmes les amateurs, n'ont peut-être plus la même appréhension du médium. Dans ces circonstances, que devient la photographie ? De quoi est fait son avenir ? Revenons-en un peu au texte pour développer ces idées.
Le livre commence par un extrait du roman Bruit de fond de Don DeLillo :
« Dans un fouillis indescriptible, je trouve quelques albums avec des photos de famille, certaines datant au moins d'une cinquantaine d'années. Je les emmène dans la chambre à coucher. Nous passons des heures à les regarder, assis dans le lit. Des enfants grimacent au soleil, des femmes portent des chapeaux de paille, des hommes abritent leurs yeux d'une lumière aveuglante, comme si le passé possédait une luminosité qui n'existe plus de nos jours. Ce soleil éblouissant oblige ces gens endimanchés à surveiller leur expression pour atteindre le futur, avec, cependant, un sentiment assez trouble, malgré leur sourire timide et figé. Ils ont, malgré eux, une attitude sceptique vis-à-vis de l'appareil photographique. »
Cet extrait introduit parfaitement le premier chapitre qui traite du sujet de la photographie amateur. Celui-ci décrit très bien nos comportements face à l'appareil et à l'image qui en résulte. Dans ce chapitre, Quentin Bajac explique la singularité de la pratique amateur. Elle débouche sur l'écriture du précieux ouvrage Un art moyen sous-titré « Essai sur les usages sociaux de la photographie ». Quentin Bajac explique aussi l'absence d'homogénéité de ce genre, si ce n'est qu'il est caractérisé par des formes de ratages.
Cette pratique amateur, celle du ratage comme elle est décrite, s'est amplifiée et popularisée avec l'apparition du premier Instamatic de Kodak dans les années 1960. Les artistes vont ensuite s'emparer de cette esthétique à des fins artistiques. Bajac mentionne comme exemples Bernard Plossu, Andy Warhol, Martin Parr, etc.
Il s'attaque dans son deuxième chapitre, à un tout autre sujet, celui du photojournalisme. Bajac part des années soixante où le reportage a été remanié, si l'on peut l'exprimer ainsi. Il dit à son propos qu'à cette époque, « face notamment à la concurrence de la télévision, la photographie de presse doit réexaminer ses pratiques comme ses objectifs pour tenter de mettre au point de nouveaux modes d'adresse au public et d'enregistrement du monde contemporain. » Les structures s'en trouvent transformées, de nouvelles agences apparaissent, et le photographe prend une place d'« auteur ». C'est sur cette dernière notion que Quentin Bajac fait remarquer « une distinction entre photojournalisme et photoreportage : d'un côté, une pratique centrée sur la collecte d'images d'actualité, souvent frappantes, à l'impact immédiat, reposant sur quelques stéréotypes et formatées pour la presse. De l'autre, un travail en profondeur, moins sensible à l'image choc, immédiatement lisible et compréhensible, davantage le fruit d'un regard d'auteur, singulier. » En guise d'illustration, on retrouve la Correspondance new-yorkaise de Raymond Depardon mais aussi des couvertures d'ouvrages comme The bikeriders de Danny Lyon, pour parler aussi de la transformation des modes de diffusion. Bajac souligne également dans ce chapitre la situation conflictuelle que le photojournalisme vit dans son activité que ce soit sur le terrain de la guerre ou du tragique accident qui l'accuse de voyeurisme. La photo sert à la fois d'information de l'histoire et de l'évènement.
Les trois chapitres suivants interrogent des points importants de la photographie : est-un art ? ou plutôt est-ce que la photographie peut être un art ? quels sont ses modes de diffusion ? et qu'a bouleversé le numérique tant au champ amateur que professionnel ? La question du photojournalisme a abordé un fait important : la photographie peut-être diffusée par plusieurs biais. De nouveaux moyens sont apparus tels que les festivals ; les éditions d'artistes se sont multipliées. Ces nouveaux moyens démontrent par la même occasion l'élévation de la photographie au rang d'un art majeur. Les artistes tentent d'ailleurs de porter à défaut la qualité technique principale d'enregistrement du médium. Quentin Bajac dit à ce propos que certains artistes travaillent « pour déconstruire une pseudo-vérité du langage photographique ». Ils mettent ainsi en avant une qualité paradoxale du médium photographique, ce qui permet en quelques sortes de faire vaciller nos certitudes sur cette pratique d'enregistrement.
En dernier lieu, Quentin Bajac termine par questionner la condition actuelle de la photographie, notamment par rapport au numérique. Les comportements ont changés face à l'image et à l'appareil photo. Bajac explique en effet que le procédé d'enregistrement et le système de stockage des images ont été profondément modifiés. Bajac parle même plutôt de « mutations ».Ces modifications restent fidèles à l'idée de départ de la photographie amateur : simplifier le moyen d'enregistrement. A ce propos, Bajac dit :
« Dotés de fonctions automatiques de plus en plus perfectionnées, équipés d'un écran couleur à cristaux liquides à l'arrière, les nouveaux appareils numériques apparus dans les années 1990 proposent désormais à l'utilisateur toute une gamme de programmes assistés par ordinateur (photo “macro”, “portrait”, “sport”, “nuit”, “sans flash”, “paysage”). Réduisant l'acte photographique à la seule opération de sélection du cadre et du moment, cette “invisible assistance”, vantée par la publicité, semble renouer avec le slogan du Kodak des origines : “You press the button we do the rest.” »
De plus, le tirage, le stockage et la lecture des images ont subi ces mutations avec le numérique. On peut faire des tirages de chez nous grâce aux imprimantes de plus en plus perfectionnées qui sont maintenant de plus en plus accessibles. Les images peuvent être stockées sur des sites en ligne sur lesquels on regarde aussi ces mêmes images.
* * *
Vous aurez donc compris que ce petit livre est bien complet. On ne doute pas que les deux premiers tomes soient aussi réussis. Il me semble qu'un passionné de la photographie et de son histoire, curieux des rapports que nous entretenons avec l'image, prendra véritablement plaisir à lire ce livre comme moi j'en ai pris.